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« Soleil vert » et le spectre de la crise alimentaire
[ 05/08/10 - 01H00 - Les Echos - actualisé à 00:36:18 ]

Et si Harry Harrisson avait raison ? A mesure qu'augmentent la population mondiale, les mégapoles et la faim dans le monde, le scénario de son roman « Make Room », porté en 1973 à l'écran sous le titre « Soleil vert », interroge de plus en plus d'experts.
Inspiré des thèses malthusiennes, le monde qu'il imagine est étouffé par la surpopulation planétaire. Le dernier arbre est conservé sous une bulle de verre, les océans se sont dépeuplés et la société ne compte désormais plus que deux classes, des privilégiés cloîtrés dans leurs gratte-ciel et des pauvres grouillant dans des taudis. Vendue sous forme de tablettes censées être produites à base de plancton, la nourriture équilibrée est une denrée d'élite que seuls les riches peuvent se procurer. Mais un détective va révéler une autre vérité : ces « soleils » (verts, jaunes ou rouges) sont produits à partir de cadavres…
« L'humanité ne connaîtra pas ce sort morbide », assure l'agronome et économiste Jean-Louis Rastoin après deux années d'enquête prospective conduite avec une vingtaine d'experts de l'Institut national de recherche agronomique (Inra) et du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). « La conclusion de ce travail est d'ailleurs une surprise », reconnaît le chercheur. Aucun indice ne fournit en effet matière à optimisme. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), la barre du milliard de personnes victimes de sous-nutrition a été franchie en 2009, et un milliard d'autres souffrent de carences dues à une nourriture trop pauvre. Or, selon ses projections, le monde devrait compter 9,1 milliards d'habitants en 2050, soit 34 % de bouches de plus à nourrir qu'aujourd'hui.
Une question de gouvernance
« Alimenter l'humanité ne sera pas un problème de ressources, mais de gouvernance, si on veut gommer le fossé entre les pays du Nord et du Sud », est persuadé Jean-Louis Rastoin. Deux modèles s'affrontent dans cette « compétition ». On connaît le premier, l'agroindustrie, qui fait référence dans les pays riches. S'il devient le système dominant, les experts prédisent une standardisation planétaire de l'assiette. Seulement une centaine de multinationales contrôleront alors l'alimentation de l'humanité, de la production à la distribution. Elles devront augmenter de 70 % la production agricole de la planète. Pour y parvenir, deux solutions : améliorer les rendements ou accroître les surfaces cultivées.
Environ 1 milliard d'hectares supplémentaires seront nécessaires. Or les surfaces disponibles se trouvent la plupart en Amérique latine et en Afrique subsaharienne, où elles remplissent d'importantes fonctions écologiques. L'agence des Nations unies préfère donc appuyer l'intensification des modes de production. « Il y a encore des marges de manoeuvre, compte tenu des disparités de rendement et des progrès de l'agrogénétique notamment, mais cela signifie la fin du métier de paysan et la disparition de 495 millions d'agriculteurs, pronostique Jean-Louis Rastoin. L'économie sera-t-elle capable d'absorber cet exode rural ? Ce choix industriel sera politiquement et écologiquement lourd de conséquences, et portera en lui le gêne d'un risque d'explosion sociale. »
3.000 calories par jour
Les agronomes consultés dans le cadre de la mission prospective Agrimonde de l'Inra suggèrent un autre modèle de croissance, fondé sur la proximité, la réduction des gaspillages et une rupture des habitudes de consommation. « C'est un scénario militant et engagé, qui privilégie le tissu d'entreprises locales », détaille l'agronome Michel Griffon. Il permettra de conserver 50 millions d'agriculteurs - dix fois moins qu'aujourd'hui -et des productions diversifiées de haute qualité. Mais, pour fonctionner, la ration alimentaire individuelle devra être ramenée à 3.000 calories par jour (contre de 4.000 à 5.000 actuellement dans les pays développés), dont 500 d'origine animale, soit moitié moins qu'aujourd'hui.
Impossible de parvenir à ce résultat sans une politique courageuse pour s'opposer aux puissantes multinationales agroalimentaires. En pleine guerre froide, Harry Harrisson avait prédit l'affrontement de ces deux logiques : un modèle humaniste fondé sur le droit à la nourriture pour tous, et un scénario dominé par les forces du marché. Pour l'emporter, les partisans d'un modèle de gestion agricole de proximité devront favoriser le retour de l'interventionnisme politique dans l'organisation des échanges commerciaux et la construction d'un arsenal législatif pour contrôler la qualité de la production alimentaire.
« C'est un modèle utopiste qui se fonde sur la capacité des consommateurs à changer », reconnaît Jean-Louis Rastoin. Pour les y aider, certains chercheurs proposent de prélever une taxe sur les dépenses publicitaires de l'industrie agroalimentaire qui servira à l'éducation et à la sensibilisation des jeunes générations. Et pourquoi pas la projection de « Soleil vert » comme instrument de propagande à l'école ?

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