Le recrutement 0.0

"Le Web 2.0 est une évolution du Web vers plus de simplicité (ne nécessitant pas de connaissances techniques) et d'interactivité (permettant à chacun de contribuer sous différentes formes)."
Voyons ce que cela pourrait donner avec le recrutement 0.0 :
"Le recrutement 0.0 est une évolution des métiers du recrutement vers plus de simplicité (ne nécessitant pas de connaissances techniques) et de profitabilité (permettant à n'importe quel crétin de contribuer et donc de se faire rétribuer)."
Le consultant en recrutement 0.0 existe, je l'ai eu au téléphone hier. Depuis deux ans que je me coltine ses congénères, vous savez, amis lecteurs, que j'ai entendu bien des âneries et souri imperturbablement à nombre d'imbéciles à défaut de pouvoir les étrangler. Mais celui d'hier, c'était vraiment la crème de la crème de la crétinerie.
Pour résumer : avant-hier je réponds à une annonce "rédigée au balai de chiottes" (expression favorite d'un ami pour qualifier les romans de Paul-Loup Sulitzer). Il s'agit d'un poste d'Auditeur Qualité Fournisseurs. A la rubrique "postes et missions" je lis "rattaché à son Responsable, le candidat comme un véritable chargé d'affaire, chiffre et organise ses interventions nationales ou internationales, gère la sous-traitance et produit les documents, rapports et attestations associés". On peut difficilement faire mieux quand on veut parler pour ne rien dire et l'auteur excellerait à coup sûr dans la rédaction de discours politiques. Déjà le "rattaché à son responsable" sent bien sa lapalissade. Quant à la suite, je vous garantis que par rapport au poste envisagé, elle n'a aucun sens.
Mais voilà, ce métier fût le mien pendant six ans, cela ne me prend donc que quelques minutes pour répondre. Alléché, le consultant 0.0 me laisse un message hier à la mi journée. Puis il m'envoie un mail, lequel contient un mail précédent, adressé à quelqu'un d'autre le 26 juillet. Voilà un monsieur qui ne sait pas utiliser la messagerie électronique.
Je le rappelle : le festival commence. Rapidement, il me demande mon niveau de rémunération et là, ça coince. Le poste mystérieux sur lequel il ne veut rien me dire est 30% en dessous. Dans ces cas-là, le consultant en général prend congé poliment : "on reste en contact pour d'autres opportunités". Mais lui pas du tout. Il insiste. "Quand même c'est dommage, avec vos compétences..." Deux ans de recherche d'emploi ont usé ma patience sans doute. Je réponds froidement que précisément, mon niveau de rémunération correspond à ces compétences-là (comme en attestent certains recruteurs et l'enquête annuelle du CNISF). Il ironise en me disant plus ou moins "tant mieux pour vous". Mais bon, "vous gagneriez plus que votre responsable, mettez-vous à sa place". Quel dommage que je n'aie pas eu l'à propos de répondre "ben oui, tiens, mettez-moi à sa place". Il commence à me chauffer les oreilles et c'est moi qui essaie de prendre congé. Peine perdue, il me vante un poste "qui consiste à aller partout dans le monde", "un directeur de structure très sympathique". Mais de quoi s'agit-il au juste ? Est-ce au moins une entreprise industrielle ? "Je vous le dirai plus tard." La fête continue "quelles sont vos qualités ?" "Avez-vous des défauts ?" Moi : "Oui, comme tout le monde..." Bien sûr je dois détailler lesquels. Je lui explique ensuite que je cherche un poste en management de la qualité ou de l'innovation. "L'innovation ? Et qu'est-ce que vous apportez en innovation ?" De plus en plus agacé je réplique : "un Doctorat." Enfin bref, j'en passe.
Il veut absolument "me voir" et me donne un RV sur SKYPE le soir même. Entre-temps, grâce à l'objet de son mail qui contenait le sigle ssht j'ai identifié l'entreprise : il s'agit de l'APAVE. Il m'appelle sur mon portable à l'heure dite et me dit de rester en ligne, ce qui est idiot quand on est sur SKYPE. La connexion établie, il me demande si je le vois. Je dis non. Il dit que ce n'est pas grave du moment que lui me voit. Donc, il ne sait pas utiliser la messagerie, il ne sait pas utiliser SKYPE et en plus il est grossier.
Le début est hallucinant :
"Bon, vous avez d'autres pistes en cours ?""Oui"
"Vous allez peut-être avoir des propositions ?""Oui."
Au niveau de rémunération que vous m'avez indiqué ?""Oui."
"Alors qu'est-ce qu'on fait là ?"
Bonne question. Qu'est-ce qui m'a empêché de lui répondre qu'on était là par sa seule volonté et que, vraiment, il dépassait la mesure ? Ma bonne éducation ou l'envie de voir jusqu'où irait cette mascarade ?
Enfin bref, à part me dire ce que j'avais découvert seul, à savoir que l'entreprise qui recrute est l'APAVE, et me vanter un emploi exceptionnel par son autonomie (il s'agit en gros de passer l'essentiel de son temps de travail en déplacement, principalement en Chine), son responsable sympa, sa sécurité (hahaha), il n'avait rien à ajouter.
Je tente un classique : "est-ce une création ou un remplacement ?"
"Bonne question... euh... je ne sais pas. C'est peut-être un remplacement, le titulaire a peut-être été promu."
 Il insiste toujours pour que j'accepte de baisser mes prétentions. Bon prince, je lâche 7%. Insuffisant à ses yeux.
"Vous êtes sûr que vous ne regretterez pas" implore-t-il. "Non, vraiment je ne crois pas."
J'ignore comment la pantalonnade va se terminer. Sur le principe, j'ai accepté d'aller à Grenoble rencontrer l'APAVE. Mais ce sera surtout pour leur dire que leur choix en terme de cabinet de recrutement est largement suffisant pour m'ôter toute envie d'entrer chez eux.
A ceux qui penseront que j'exagère à toujours critiquer les recruteurs, je répondrai ceci : je suis allé à Paris la semaine dernière pour un entretien à zéro question con. Pas de "citez-moi les réalisations dont vous êtes le plus fier", "quelles sont vos principales qualités et vos principaux défauts", "qu'avez-vous de plus que les autres candidats"... Par contre, j'ai eu une question inédite et particulièrement pertinente, puisqu'il s'agit d'un poste en innovation : "avez-vous consulté leurs brevets ?" Fort heureusement, je l'avais fait. Bref, tous les recruteurs ne sont pas à mettre dans le même panier c'est pourquoi quand on en rencontre un aussi gratiné, il convient de s'en délecter entre amis comme je viens de le faire.

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