J'ai frôlé une pelouse mythique

J'ai fêté l'anniversaire de Raoul avec un verre de jus d'ananas, au bord de la plus belle pelouse d'Europe. Une pelouse si belle qu'il ne saurait être question d'y trottiner sans porter le maillot d'une grande équipe de football. Vous imaginez bien qu'un quadrupède de mon espèce regrette fortement que l'on confie pareille merveille à de stupides chaussures à crampons. Mais voilà, l'ensemble des messieurs conviés comme moi à l'événement s'extasiait et photographiait à qui mieux mieux les innombrables coupes exposées dans cet endroit mythique. Moi-même, vous l'avouerai-je, j'ai pris quelques clichés des lieux tout en me demandant qui dans mon entourage pourrait s'en délecter.
Le lendemain, nous avions grand-messe, splendidement organisée par nos hôtes.
L'allocution de démarrage était creuse mais brillante et portait sur la stratégie. Car oui, il convient bien sûr d'avoir une stratégie. Je reconnais que j'ai cherché quelque peu ce qu'était la nôtre, mais après avoir écouté mon voisin polonais m'expliquer la sienne à l'invitation du maître de cérémonie, je me suis détendu. En effet, la stratégie de son employeur à lui c'est d'être une société profitable plus quelques babioles autour. La belle affaire... Vous imaginez un dirigeant vous expliquer que sa stratégie est de perdre de l'argent jusqu'à mettre la clé sous la porte ? Non bien sûr. La stratégie aujourd'hui, c'est comme les valeurs hier : chacun se targue d'en avoir une et l'exhibe fièrement mais tout le monde a la même. C'est comme l'innovation : la mode est à l'innovation et elle se doit de faire "partie de notre ADN" ou d'être "l'un de nos piliers". D'après le loup, "l'agilité" se porte également très bien en ce moment. Vous doutez ? Allez consulter Wikipedia et vous lirez, si possible sans rire, que "le management agile peut être vu comme une organisation de type holistique et humaniste basée essentiellement sur la motivation rationnelle des ressources humaines." Je n'ai pas encore vu de consultant en agilité dans nos couloirs mais je ne serais pas étonné un jour d'en croiser un.
Le deuxième orateur était tout aussi brillant dans son exposé, puis le troisième et ainsi de suite jusqu'à l'heure des canapés (délicieux au demeurant), chaque nouvel intervenant étant accueilli par une musique assourdissante évoquant la "gagne" (notamment celle, magique, des Chariots de feu). J'ai vu trop d'ingénieurs brillants incapables de s'exprimer devant un auditoire sans l'ennuyer fermement en quelques minutes pour ne pas deviner qu'il y avait baleine sous caillou. J'attaquais donc en même temps ma tortilla et l'un de nos hôtes à la pause, le forçant à reconnaître qu'ils avaient des coachs en communication pour cet événement. Je n'avais encore jamais vu cela. Le résultat est inhumain. C'est lisse, léché, comme robotisé. Et bien entendu sans contenu : la coquille est splendide mais vide.
L'après-midi, j'ai cru voir un numéro de cirque avec, à la place du phoque, un humain fort doué qui faisait lui aussi tourner des ballons sur son nez. Vous connaissez la Complainte du phoque en Alaska créée par le groupe Beau Dommage ? C'est très beau, je ne vous livre ici que le refrain, cherchez le reste :
Ça vaut pas la peine
De laisser ceux qu'on aime
Pour aller faire tourner
Des ballons sur son nez
Ça fait rire les enfants
Ça dure jamais longtemps
Ça fait plus rire personne
Quand les enfants sont grands

Bref, j'ai passé deux journées éprouvantes mais pleines d'enseignement du point de vue anthropologique. Ayant moi-même organisé récemment une fort modeste mais néanmoins réussie journée innovation pour une vingtaine de mes collègues et en connaissant précisément le coût, j'imagine les centaines de milliers d'euro engloutis dans ces deux jours où la testostérone coulait à flot. Animal préhistorique dans un monde où la communication et le paraître sont des religions dont les consultants sont les grands prêtres, je suis rentré penaud, ayant en outre l'impression d'avoir profité sans en jouir d'un privilège que des millions de supporters pourraient m'envier.

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